Lena a été sex addict pendant de nombreuses années. Elle a accepté de témoigner et de répondre à mes questions sur son parcours. Elle livre ici une analyse très fine de la dépendance à la pornographie et au sexe chez les femmes. On sent qu’elle a beaucoup réfléchi à la question. Je vous laisse juger par vous-même.

Bonjour Lena, comment es-tu devenue addict ?

Chez moi tout est parti d’une dépendance affective, quand j’étais très jeune. J’étais une enfant non désirée, qui ne rentrait pas dans les cases et qui n’avait pas d’amis. J’étais plus à l’aise avec les adultes, je « charmais » (rien de sexuel au primaire et début du collège) pour qu’on s’intéresse à moi, puis j’ai appris à donner ce que les autres attendaient pour avoir de l’attention, de l’affection en retour.
Vers mes douze ans, j’ai rencontré un homme d’une bonne vingtaine d’années. Je ne savais pas trop ce qu’était le sexe, et le fait que je dise non et que j’aie mal n’était pas un problème pour lui, donc j’ai cru que ça se passait comme ça pour toutes les femmes. Et comme j’avais un peu d’attention avant et parfois après, je pensais que c’était normal, le prix à payer en quelques sortes.

Quand il est parti sans explications, j’ai répété le schéma. J’avais coutume de dire que mon corps était constamment en journée portes ouvertes. Je disais que je n’avais pas de barrières, que j’étais plus libre que n’importe qui le serait jamais, qu’il valait mieux avoir des remords en ayant tout tenté que des regrets en n’ayant rien vécu. J’ai donc enchainé les relations sexuelles, les infidélités, la recherche d’autre chose, quitte à me mettre parfois en danger.

Vers 22 ans, j’ai eu du plaisir pour la première fois. Pas l’orgasme de folie, pas la révélation sublimée par le rayon de soleil qui transperce les nuages. Non, juste un peu de plaisir, pendant une relation sexuelle un peu hard, avec quelqu’un que je « côtoyais » pourtant depuis un moment. Je me suis dit que c’était peut-être ce type de sexe qui provoquait ça, donc je suis allée me balader sur les sites X, puis peu à peu j’ai découvert que je pouvais avoir du plaisir seule, en parallèle de mes expériences « réelles ».

Est-ce que c’est l’escalade dans le hard ?

Je passais déjà beaucoup de temps sur internet, j’ai toujours plus ou moins évolué dans un univers geek car avoir accès à autant d’informations et de liens sociaux me fascinait avant la découverte du porno. En plus, je rencontrais déjà des hommes sur internet, pas forcément sur des sites de rencontre, que ce soit pour une romance (qui de toute façon commençait au lit) ou juste un plan d’un soir. Donc passer juste un peu plus de temps sur le porno ne changeait pas grand chose au début. Et comme j’avais découvert le plaisir lors d’une relation un peu « hard », je me suis directement orientée vers ça, donc je n’ai pas vraiment eu l’occasion d’une escalade. Disons que dans ma dépendance, je n’ai jamais été naturellement vers du soft, donc non, j’ai plutôt stagné de ce côté là.

En tant que femme, qu’est ce qui t’attire dans le porno ?

Comme je disais, c’était surtout pour retrouver le premier plaisir ressenti dans la réalité. Les types de vidéos que je regardais mettaient souvent en scène la femme entravée, contrôlée. Avec le recul, et beaucoup d’analyse et de psychanalyse, je me dis que j’avais peut-être besoin d’être contrôlée : mes pensées partaient dans tous les sens, j’étais constamment dans la cogitation, et le fait de ne plus pouvoir bouger physiquement me rassurait, comme si ça m’empêchait de bouger mentalement.

Que penses-tu du porno dit « pour femmes » ?

J’avoue ne jamais m’y être vraiment intéressée. Le peu quand j’en connais ressemblait plutôt à des films érotiques, et j’en rigolais beaucoup avec des hommes avec qui je pratiquais du beaucoup moins soft. J’ai vaguement tenté l’expérience avec le site Dorcelle, réservé aux femmes, mais je trouvais ça un peu « gnangnan », je n’y suis pas restée. Puis le porno, c’est devenu mécanique, assez vite j’ai arrêté de chercher des vidéos originales pour aller directement dans mes catégories habituelles, chercher pendant des heures une vidéos qui m’excite pour le peu que j’en faisais, ça me frustrait encore plus.

Est-ce que tu te masturbes sans porno ?

Je n’ai pas souvenir de masturbation sans porno. J’ai besoin d’images je crois, mais pas de son parce que étonnement je mettais souvent la vidéo en « muet », même seule chez moi.

Retrouves-tu les symptômes de l’addiction au X chez les hommes ?

J’avais un peu tous les symptômes : les mouchoirs, l’isolement (encore qu’il m’est arrivé de le faire alors que l’homme avec qui j’étais se trouvait dans la même pièce, absorbé par son ordinateur, ou la télé par exemple).

À la base je n’avais pas vraiment confiance en moi, donc c’est sûr que ma dépendance au sexe n’a pas vraiment arrangé les choses. Mon comportement permettait aux hommes de me mentir, me dévaloriser, et les femmes s’en donnaient à cœur joie. Je trouvais ça ridicule d’ailleurs car les hommes même s’ils me donnaient un peu d’attention avant et après, ils ne voulaient pas (ou rarement, s’ils avaient encore moins confiance en eux que moi) de moi dans leur vie. Et qu’elles soient jalouses de ce que j’avais, ça me dépassait, me mettait en colère.

Je n’arrivais pas à me contenter de photos pour me masturber, donc je n’en avais pas sur l’ordi, quant aux vidéos, je préférais le streaming. Ma dépendance et mes expériences de vie m’ont rendue un peu parano, même si je sais bien que c’était facile d’avoir accès à mes visionnages, je préférais ne rien avoir sur l’ordi.

Par contre je n’ai jamais dépensé d’argent là-dedans : sites gratuits, tchats courants, pas forcément dédiés au sexe à la base… ce n’était pas un problème.

Par ailleurs, avec le sevrage, j’ai eu une période de « flatline », qui chez les hommes de définit par une libido en berne et le syndrome du « pénis mort ». J’ai également d’autres symptômes, physiques et psychologiques, du sevrage que je retrouve dans les témoignages d’hommes.

Pourquoi chercher à arrêter ?

Ça m’a pourrit la vie. Je n’avais aucune vie sociale, tout tournait autour du sexe et je ne pouvais pas me faire d’amis car je ne connaissais aucune autre façon d’exister et de communiquer. Et même du côté des autres femmes, c’était soit du sexe, soit de la jalousie, donc aucun moyen de s’entendre. D’ailleurs les femmes que je rencontrais me voyaient tellement comme une rivale que c’est souvent arrivé qu’elles fassent tout pour me virer du groupe, avec pression sur leur homme, parfois des menaces, bref, je n’avais pas de vie.

En plus vu le temps et l’énergie que me prenait ma dépendance, travailler était presque impossible, donc pas d’argent pour vivre et donc encore moins pour sortir, une vie rythmée par mes ébats sexuels, pas de possibilité de construire quelque chose.

Crois-tu qu’il y ait beaucoup de femmes dans ton cas ?

Je ne pense pas qu’il y aie « beaucoup » de femmes dans mon cas, même si j’en ai rencontrées, par exemple en fréquentant des groupes de parole, comme DASA. La société exerce une certaine pression sur les femmes qui auraient des désirs sexuels s’approchant de ceux des hommes, elles sont très rapidement et pour longtemps cataloguées comme salopes, bonnes à rien, femmes à éviter, alors qu’un homme avec de nombreuses conquêtes est souvent vu comme un séducteur. De même, un homme qui se masturbe devant du porno, c’est « normal »; une femme qui le fait et de suite vue comme bizarre, malade. Je pense que cette pression agit pas mal sur le fait que beaucoup de femmes, qui pourraient l’être, ne tombent pas dans la dépendance et réfrènent leurs pulsions.

Quels conseils donnerais-tu aux femmes pour s’en sortir ?

Les mêmes qu’aux hommes: des projets, des psychanalyses, des garde-fous, en parler… DASA m’a pas mal aidé au début pour accepter ma dépendance et le fait que je ne m’en sortirai pas seule, mais j’ai malheureusement un peu trop vite touché les limites de ce type de rencontres, malgré mon implication. J’avais surtout besoin d’un retour, parfois même d’un coup de pied au cul, et pas seulement de parler sans pouvoir espérer de réponse. Certes, le système de parrainage était censé m’y aider, mais j’avais trop l’impression de devoir collecter des bons points avec mon ancienne marraine, qui ne s’intéressait pas à mes spécificités. Je sais par contre que pour d’autres ça se passe beaucoup mieux, donc je n’émets pas d’avis négatif sur le sujet.

Par contre, je me suis inscrite sur dependance-sexuelle.com, qui pour le coup m’a filé un sacré coup de fouet. Le fait d’avoir un espace pour y déposer ses pensées, ses analyses, ses astuces, ça permet déjà un retour des autres inscrits, puis de voir sa propre évolution, et de piquer des idées dans les témoignages des autres. J’avais besoin de me sentir comprise et utile, et le forum m’a apporté ça. Par contre, je sais que j’ai aussi une addiction au net, et que je pourrais y rester des heures, quitte à faire passer ma vie de famille et ma vie sociale au second plan, donc je dois me limiter. Accepter de ne pas dire tout ce à quoi je pense dans l’instant, faire mûrir ma réflexion et apporter quelque chose d’un peu plus posé. Ce qui ne m’empêche pas de l’utiliser comme garde-fou à n’importe quel moment si mes pulsions sont trop fortes, si je pense être prête à rechuter.

Est-ce plus dangereux pour les femmes que pour les hommes ?

J’entends parfois que c’est plus facile pour les femmes : les hommes font le premier pas et sont plus nombreux que les femmes à rechercher ce type d’expérience. En plus la place de la femme das la société actuelle la rend « passive » donc c’est l’homme, qui parfois peut être mal intentionné, qui prend les commandes. J’aurais donc tendance à dire que oui : plus exposées aux violences dans le réalité, au jugement en cas de conquêtes multiples et donc à une marginalisation plus forte, etc.

Mais justement, cette pression sociale est déjà un garde-fou pour pas mal de femmes : les sites pornos sont plutôt orientés pour les hommes, qui sont moins jugés sur ça en société même s’ils ne le crient pas sur tous les toits. Je crois que cette question n’a pas vraiment de réponse: un homme homosexuel va également subir la pression de la société, et une femme de la jet-set aura moins de garde-fous…

Même si la dépendance s’exprime souvent de la même manière, elle n’a pas les mêmes causes, le même environnement. Je crois donc que les questions du sexe, de l’orientation sexuelle, de la place au sein de la société sont beaucoup trop générales et se réfèrent à des clichés, et non pas aux dépendants eux-mêmes en tant qu’êtres humains uniques et différents.