Lionel a 36 ans. Il a voulu témoigner sur stopporn pour alerter l’opinion sur ce qu’il a vécu, comment il a touché le fond, la pédo-pornographie. Il est sérieusement avancé dans son chemin de guérison. Ce n’est pas facile mais il a pris conscience du problème et s’y attelle avec courage. Son histoire est un très bon exemple de ce que la découverte de la pornographie à l’adolescence peut engendrer comme excès, dysfonctionnements et « descente aux enfers » les années suivantes.

La lecture de ce « manifeste » vous prendra environ 15 à 20 minutes. Je n’ai pas voulu le raccourcir car l’analyse de Lionel sur lui-même est riche et poussée. Son témoignage est franc, lucide et éclairant, je vous en recommande la lecture dans son intégralité.

/!\Pour comprendre l’évolution de Lionel, certaines pratiques sexuelles sont évoquées très brièvement. Il faut pouvoir caractériser ce que l’on combat et ne pas avoir peur des mots.


Découvrir la sexualité avec la pornographie, c’est comme jouer à la roulette russe. Certains en ressortiront indemnes (ou presque), pour d’autres cela aura des conséquences néfastes qui les poursuivront toute leur vie…. jusqu’à toucher le fond.

Jeunesse

J’ai découvert la pornographie assez tard, un peu avant mes 14 ans, l’été avant la rentrée scolaire en 3ème. Bien sûr, je n’étais pas resté complètement “vierge” de pornographie jusque là, ne serait-ce qu’en apercevant les magazines situés en hauteur dans les librairies.

Mais rien ne me préparait à ce film, cette VHS, qu’un ami a glissé dans le magnétoscope cet après midi là et à ce que j’allais voir : une représentation faussé de la réalité qui me marquerait à jamais. Femmes toujours prêtes à l’acte, sexes parfaitement épilés, gémissements…

Ce qui m’a le plus marqué, c’est ce liquide projetée sur la femme, alors que je n’avais moi-même encore jamais été jusqu’au bout d’une masturbation. Je m’étais déjà caressé mais jamais jusqu’à me faire jouir, toujours un peu craintif lorsque les sensations devenaient trop fortes.

C’est à partir de cet été que tout a basculé. Je récupérais des VHS chez cet ami, et je découvrais la masturbation jusqu’à la jouissance, seul dans ma chambre. Si j’avais su où ça me conduirait…

J’ai passé mon année de 3ème et les années suivantes dans la pornographie. J’ai vécu une adolescence compliquée, surtout la fin du collège et le début du lycée. Pas très confiant et pas top model non plus, je n’avais encore jamais eu d’amoureuse ni embrassé de filles.
A cet âge là, ça se vit particulièrement mal. Parallèlement à cela, je continuais plus fort avec la pornographie.

Jusqu’à ma majorité, les années vont défiler au rythme de masturbations quotidiennes (une à trois) avec des supports comme des films ou des magazines (d’abord Entrevue puis Playboy, Canal+…). Évidemment, je ne me contentais plus de magazines avec de la “nudité” comme ceux cités, mais de vrais magazines porno type “Hot Vidéo” avec des scènes de sexe en pleine page.

À partir de mes 18 ans, j’ai pris plus confiance en moi, je me suis rendu compte que je pouvais faire valoir certains atouts auprès de la gente féminine, comme l’humour, et j’ai donc connu mes premiers vrais rapports. Je n’aurai donc jamais connu les premiers émois d’adolescent avec juste les premiers baisers et autres effleurements. La première fille que j’embrasserai serait aussi la première fille avec qui j’aurai une relation sexuelle. C’était catastrophique. Rien à voir avec ce que j’avais vu. J’allais de déception en déception. Déjà, c’est quoi ce triangle de poils ? Et puis, on est là, nus tous les deux, on s’embrasse, mais pourquoi ne fait-elle rien d’autre ? Dans les films, la fille hurle d’excitation, et là, elle était gênée par mes initiatives, voulait arrêter ce qui pourtant était monnaie courante sur toutes les images que je voyais. J’ai vite compris que ça allait trop vite pour elle. Et pas assez pour moi…

Globalement, mes premières expériences amoureuses ont été de vrais échecs. Avant de rencontrer celle qui deviendra ma femme, ma plus longue relation avec une fille aura duré moins de trois mois. Je découvrais la sexualité réelle, sous le prisme de la pornographie, en total décalage.

Mais le pire allait arriver, à mes 20 ans, le départ de chez mes parents et… Internet.

Internet

Premier studio, et le début des premières vraies dérives. Jusque là, je consommais du porno comme mes amis, avec le même type de contenu, même si je n’étais pas conscient d’y passer certainement beaucoup plus de temps qu’eux. Ma vie n’était tout de même pas uniquement constitué de porno, je poursuivais des études d’informatique et étais l’un des premiers à disposer d’une connexion Internet, bien avant l’arrivée de l’ADSL.

Dans mon studio d’étudiant, j’ai découvert Internet. C’était le début de la fin. Internet, le terreau de la pornographie sale, perverse, déviante. Cela allait beaucoup plus loin que le film de Canal qui est packagée pour de la pornographie dite “classique”.

J’ai pris conscience que le pono pouvait être divisé en catégories. Avant l’arrivée des sites de streaming, les sites pornos étaient déjà divisés en tags et permettaient de télécharger gratuitement les extraits souhaités. Les catégories divisent les filles comme de la marchandise. À cela s’ajoute aussi les catégories par pratique sexuelle, les sous-catégories, etc. C’est le grand supermarché du sexe, du classique au sinistre en passant par le glauque extrême. À 20 ans, j’ai vu plus de trucs que ce que la génération de mes parents ne connaîtra jamais, même pas de nom.

En plus de cela, je découvre des sites d’histoires érotiques, qui semblent à priori plus inoffensives que des vidéos montrées crûment… sauf que ces histoires érotiques ont souvent un contexte encore plus “déviant” que les vidéos. Je découvre des histoires d’inceste entre frère et sœur ou mère et fils. Des histoires souvent racontés à la première personne, style “documentaire”, mais où les deux protagonistes sont toujours très heureux de briser les tabous incestueux ensemble.

À partir de là, je commence à m’intéresser à ces contenus déviants, mais au fond de moi, je dois savoir que ce contenu est “à part”. Je n’en parle pas à mes amis. Sans m’en rendre compte, je m’isole et je me replie sur moi même. Ma deuxième année d’étudiant en studio, je prétexte je ne sais plus quoi pour esquiver des sorties d’après cours pour mieux m’enfermer chez moi et sombrer dans la pornographie.

Bien évidemment, à cette époque, je n’ai pas conscience de cette dérive. Je ressens juste au fond de moi que je dois bien être “obsédé” pour m’enfermer ainsi. Je découvre sur Internet des salons de discussions où les gens parlent de relations incestueuses. Je suis terriblement fasciné par ça, je me dis que parmi tous ces gens qui “fantasment” (car je reste lucide néanmoins, certaines histoires n’étant absolument pas crédibles) il y a peut-être vraiment quelqu’un qui a vraiment des relations sexuelles avec sa sœur ou sa mère. L’inceste est ici présenté sous le prisme du “consentement volontaire”. Aucun internaute sur ce genre de salon ne vient raconter d’histoires incestueuses “traumatisantes”. L’inceste est ici présentée comme une transgression des tabous, un truc “fun à faire”.

Je suis fasciné par les histoires de type mère-fils. Pourtant je n’ai jamais pu me projeter moi-même dans une histoire de type mère fils avec ma propre mère. J’ai toujours trouvé ça assez écœurant.

Mais à force de lire des histoires ou de parler avec des internautes fantasmeurs et conteurs d’histoires incestueuses, je commence à réfléchir malgré moi et à penser à toujours plus pervers. Je me dis que s’il existe des histoires écrites de relation mère-fils, il existe peut être des vidéos de ce type.

Je fais alors des recherches sur Internet et je découvre assez facilement malheureusement des films qui mettent en scène des relations mère-fils. Bien sûr, ce sont des acteurs pornographiques, qui jouent le rôle de la mère mature de 45 ans et du fils de 20 ans qui revient de l’académie, mais ce type d’histoires fait son effet.

Alors j’en recherche de plus en plus, notamment sur des réseaux de P2P où l’on recherche les vidéos par mot clé. Je tombe sur des vidéos dites “amateurs”, qui me semblent excitantes au début car elles ne sont pas extraites d’un film produit par une société pornographique. Ce sont des gens qui se sont filmés avec une caméra. Mais bien souvent, il s’agit d’extraits courts et rien ne prouve qu’il s’agit vraiment d’une mère et de son fils.

Jusqu’au jour où, à force de rechercher ce type de vidéo, je suis tombé sur une vrai vidéo “incestueuse” de type fille-père, et là… la fille devait avoir environ 11 ans.

J’étais bloqué. Je ne savais pas qu’on pouvait tomber sur ce genre de vidéo. Et même dans mes découvertes de vidéos ou d’histoires érotiques au contexte incestueux, on parlait toujours de jeunes adultes. Cela devait durer moins d’une minute, les vidéos étant courtes avant l’époque de l’ADSL.

La vidéo est courte mais elle m’a marqué à jamais.

Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle entre cette fille qui réalise un acte sexuel sans y être forcée physiquement, sans qu’apparemment on la force, avec les rares petites amies que j’avais pu avoir jusqu’à présent et dont certaines refusaient de telles pratiques.

Je n’étais pas prêt à voir ce type de contenu, présenté de cette manière. Pas à 20 ans. Je ne savais même pas ce qu’était la pédopornographie, et dans mon inconscient, c’était forcément des enfants en pleurs, attachés et qui sont violés avec emploi de force physique. Je ne comprenais pas ce que j’avais vu.

Et puis, le destin m’a sans doute sourit pour ma troisième et dernière année de vie en studio d’étudiant. Des amis proches de moi sont revenus étudier dans la ville où j’étais, des amis vraiment proches, pas de simples copains de classe, des amis avec qui j’aimais passer du temps et pour lesquels je sortais plus facilement.

Et comme souvent à cette époque, un des garçons de notre groupe de garçons fréquentait une fille qui appartenait à un groupe de fille. Nos deux groupes s’entendaient bien, et je trouvais ça plus sympa de sortir et fréquenter des filles plutôt que de regarder du porno.

Et avant la fin de l’année scolaire, je me suis rapproché d’une des filles, qui est devenue ma petite amie et qui deviendra ensuite ma femme et la mère de mes deux enfants.

Vie de couple

Nous avons assez vite naturellement emménagé ensemble. Au niveau sexualité, ce n’a pas été fantastique dès le départ, mais j’avais aussi changé et compris qu’il fallait prendre le temps. Néanmoins, quand je repense à cette période, il est vrai que je devais aussi “digérer” pas mal de frustrations par rapport à ce qui m’avait imprimé la rétine et le cerveau depuis mes 14 ans.

J’aimais cette fille et je consentais donc à faire des “concessions” par rapport à mon idéal : je me contentais donc de rapports classiques loin de ceux présentés dans la pornographie. Je me rends compte à quel point la sexualité se présentait à moi comme une suite de techniques…

Même aujourd’hui je réalise parfois à quels points dans les préliminaires, pendant des phases de caresses, je me dirige trop vite sur le bas du ventre… C’est difficile à vivre.

Pour revenir à nos premiers moments de couples, nous avons appris à nous connaître d’un point de vue “sexualité” et même si j’avais le sentiment de faire des concessions, j’étais heureux, je pensais que c’était la bonne personne pour moi, et je ne voulais pas la quitter.

Mais… le porno ne m’a pas quitté. L’arrivée de l’ADSL a favorisé le contenu de porno visionnable directement en ligne, sans téléchargement.

C’est aussi à cette époque que j’ai compris que si je regardais beaucoup de porno, j’aimais aussi surtout me masturber. J’ai commencé à travailler, et je me suis vite rendu compte à quel point la masturbation faisait redescendre la pression et le stress. Je me suis donc pas mal masturbé sans support, juste en fantasmant.

À ce moment, j’ai aussi réalisé que je devais avoir de gros besoins en terme de “sexualité”. Je pouvais très facilement me masturber deux fois dans la journée sans que cela ne me provoque de “panne” le soir avec ma femme.

J’ai donc continué la pornographie et la masturbation, avec une vie de couple, sans que je ne le vive comme un problème… avant la descente aux enfers.

Darkweb

Vers mes 28 ans, je suis toujours en pleine consommation de porno et je me masturbe quotidiennement (j’étais addict à la masturbation). Je travaille dans l’informatique et la pression ressentie m’oblige par moment à faire redescendre tout ça par la masturbation. L’informatique est aussi une passion et c’est à cette époque que j’entends parler de réseaux cachés sur Internet surnommés Darknet ou Darkweb.

Ces réseaux ne sont pas accessibles via un navigateur internet classique, il y a des procédures. Tout cela pique ma curiosité et me “challenge” aussi un peu : ça ne devrait pas être bien compliqué de s’y connecter et de voir à quoi cela ressemble. Et effectivement, à cette époque, pour un informaticien avec un niveau d’anglais minimum, il a été assez facile de trouver des informations sur Internet sur l’accès à ces réseaux.

Je suis tombé sur page Web, classé par contenu : ventes d’armes, ventes de drogues, documents Wikileaks (avant que l’affaire n’explose dans les médias) et… pornographie. Je me suis demandé pourquoi les sites pornos allaient se cacher car la pornographie n’est pas illégale, comparés aux autres types de contenus. J’ai vite compris. Emballés comme les sites pornos “classiques” mais avec des mineurs. À nouveau j’ai “scotché” devant mon écran. Et je suis tombé dans l’engrenage

J’ai revu la vidéo que j’avais vu environ 8 ans avant, plus les autres mettant en scène cette même fille.

Ce qui m’a le plus perturbé (alors que je l’étais déjà pas mal je pense, vu mon historique) c’est ce nombre incroyable de vidéos, mettant en scène des pré-ados, qu’elles soient seules devant leur webcam, soient accompagnées, semblant faire toutes ces choses sexuelles “en souriant”.

Encore une fois, cela allait à l’encontre de l’idée que je me faisais du viol avec usage de la force. Pour n’importe quel esprit un peu fragile, ces vidéos présentent des filles, certes jeunes, mais consentantes. Et à ce stade, malheureusement, c’est un véritable engrenage.

  • Premier stade, c’est perturbant mais je ne trouve pas ça “dégueulasse”, suis-je un monstre ?
  • Deuxième stade, on trouve d’autres gens sur ces sites, qui ne trouvent pas ça dégueulasses non plus. Ouf, c’est rassurant et on se sent moins seul.
  • Troisième stade, on en parle et on se rassure mutuellement. “C’est normal, elles sont quand même jolies et elles n’ont pas froid aux yeux.” “T’as vu ça ?” “Moi c’est elle que j’aime bien !” etc., etc.

J’ai perdu pied. J’ai cautionné ça, j’en ai regardé, j’en ai échangé. J’ai dit à ma femme que j’avais réussi à me connecter sur des réseaux cachés mais je ne lui ai pas dit que je focalisai sur de la pédopornographie.

Et un matin de mars 2011, ça a cogné fort contre ma porte d’entrée… et ma vie a basculée, définitivement, et à jamais.

Sanctions

Cinq (oui, cinq) gendarmes. Perquisition. Garde à vue. Ma femme auditionnée l’après-midi. Ma femme, alors enceinte de 3 mois de notre premier enfant…

J’avoue aux gendarmes. À la question “consultez vous beaucoup de sites pornographiques ?” je réponds que ça m’arrive, pas plus que les autres. Et je pense réellement ce que je dis.

Le gendarme répond que, de toute façon, ce n’est pas la pornographie le problème.
Avec le recul, quand j’y repense, s’il savait à quel point c’est souvent ça le problème…

Je sors le soir même vers 19h.

J’ai encore du mal à l’écrire. Je me rappelle avoir réussi à dire aux gendarmes que j’avais été “choqué” par la garde à vue. L’un deux l’avait un peu mal pris en me disant qu’ils avaient été très corrects avec moi. Et ils l’ont été, effectivement.

Mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Lui, il ne peut pas comprendre, c’est son métier, peut-être que dans une semaine de cinq jours il débarque deux ou trois fois dans des maisons différentes.

Moi, rien ne me préparait à ça, je n’étais pas le genre de type qui va en garde à vue. Respectueux des lois, jamais eu de points en moins sur mon permis avant ça, du genre à demander à ne pas conduire après une soirée si je sais que j’ai bu plus de deux verres.
Le monde pour moi s’est effondré. Cela, le gendarme ne l’a pas compris. Si mes parents l’avaient su, surtout mon père, ça aurait été le désaveu. Le coup de tonnerre. Dans la famille, on fait honneur à notre nom et on respecte les lois.

Les gendarmes m’ont dit que je ne risquai pas grand chose : un rappel à la loi, une peine d’amende et au pire une peine de prison avec sursis.

Cela allait dépendre de l’avancée de l’enquête, si ce que je leur avais dit était bien conforme, et de la fin de l’analyse de mes disques durs. J’avais prétendu n’avoir aucun fichier de nature pédopornographique, ce qui était vrai, car je ne cherchais pas à collectionner. Je n’ai même jamais collectionné de pornographie tout court. Une fois la masturbation terminée, je passais à autre chose.

Tout ça pour dire que, très honnêtement, je n’avais jamais fait le lien entre ce que je faisais et l’illégalité de mes actes. Étais-je complètement immature ou complètement dépendant ? Sans doute les deux, je n’étais pas très adulte jusqu’à mes 29 ans. Je le suis devenu d’un coup.

Suite à cette garde à vue, la première réaction a été de mentir à tout le monde : à mon travail, pour expliquer mon absence de la veille ; à certaines personnes que ma femme avait appelées ; à ma femme elle-même, avec qui les gendarmes avaient eu la décence de ne pas entrer dans les détails. Elle est donc restée sur le fait que je me suis fait prendre pour curiosité déplacée envers des contenus illégaux de “toutes” natures.

J’ai vécu la première période la plus atroce de toute ma vie. Les gendarmes m’avaient prévenu que je n’aurai pas de nouvelles avant la fin de l’année 2011 (nous étions en mars). Je savais que mon premier enfant allait naître entre temps. L’horreur.

Je suis allé consulter un psychologue comme me l’avaient conseillé les gendarmes, m’expliquant que cela jouerait en ma faveur dans la décision du juge. Je l’ai fait. J’ai même consulté un psychiatre en plus. Chaque mois, une séance de chaque. J’étais terrorisé, terrifié dans l’attente d’un procès qui pouvait potentiellement éclabousser à jamais mon nom et ma réputation sur toute la ville (dans une ville de taille moyenne, tout va très vite).

Mais je n’ai pas réussi à parler avec mon psychologue et mon psychiatre. Je n’y arrivai pas. Trop honteux. J’ai dit ce que j’ai dit à ma femme : que j’avais consulté des réseaux illégaux de tous types de contenus. Ils m’ont surtout aidé à trouver la force d’attendre la comparution devant le juge.

Quand je repense à cette attente, cette peur, à mon premier enfant est né en octobre 2011. J’ai fait mon maximum pour être présent mais ça a été vraiment dur. J’ai passé des soirées recroquevillé en boule… Et j’ai dû attendre – mort de trouille – jusqu’en mai 2012. Soit plus d’un an après la garde à vue. L’horreur.

J’ai été convoqué en Commission sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité. Une procédure moins “publique” qui permet de voir le procureur dans son bureau, puis le juge qui valide (ou pas) devant une assemblée restreinte.

Ça s’est mal passé pour moi, je n’ai pas réussi à beaucoup parler, à expliquer mes actes. De toute façon, à cette époque, je ne savais pas encore comment les expliquer. Le procureur a proposé une sanction de 6 mois de prison avec sursis, une inscription au FIJAIS et une obligation de soins. Mon avocat a juste pu obtenir l’annulation de l’obligation de soins car je voyais déjà de moi-même des spécialistes.

Je ne savais même pas ce qu’était le FIJAIS. Un fichier automatisé qui recense tous les auteurs d’infractions sexuelles. Pendant 20 ans, je dois communiquer une facture ou quittance attestant de mon domicile une fois par an, le mois de mon anniversaire (bon anniversaire, tu peux aller “pointer”).

C’est terrible ! Je n’en reviens toujours pas. Je suis fiché. Je suis un délinquant sexuel. J’ai un casier judiciaire. Quand je repense au gosse que j’étais, le gentil gosse sage, du genre à aimer lire et d’un naturel calme dans mes loisirs, j’ai envie de pleurer. C’est un triste constat.

Mais revenons un peu en arrière. Quand je suis sorti de garde à vue en mars 2011, je me suis dit “tout ça c’est fini : j’arrête les trucs illégaux mais j’arrête aussi le porno, de me masturber, de fantasmer” À cette époque, je ne pensai pas “dépendance” mais peut-être faisais-je une sorte de lien, inconsciemment.

C’était fini, j’en étais convaincu. J’ai dû tenir quelques jours seulement… Le stress, la peur, la pression et je me suis remis au porno (légal, je n’étais quand même pas fou) et à la masturbation et ce jusqu’au procès.

Prise de conscience

Après le procès, j’ai eu du mal à digérer la sanction. Je n’étais pas un délinquant, ce n’était pas normal, etc.

J’ai du pointer une première fois pour le FIJAIS, on m’a prélevé un échantillon ADN. Je devais avoir l’air surpris parce que le policier m’a dit : “vous savez, on le fait pour le moindre vol à l’étalage maintenant, c’est systématique”. Il ne se rend pas compte, quand il dit ça… J’étais encore en colère.

Mes deux psys qui m’avaient accompagné jusqu’au procès ont tous les deux mis fin aux rendez-vous, estimant que c’était terminé.

Très paradoxal, car j’échappe à l’injonction de soins parce que je les ai consulté de mon propre chef, et les rendez-vous s’arrêtent juste après le procès, les deux psys estimant que leurs rôles étaient de m’accompagner jusque là (et c’est vrai que j’ai présenté les choses sous cet angle).

Un premier déclic, une prise de conscience a eu lieu à l’été 2012. J’étais seul à la maison, je me masturbais devant un site porno et je me suis vu. Je me suis “regardé”, pantalon sur les chevilles, sexe dans la main, vidéo à l’écran.

Ma toute première vraie prise de conscience, celle où je me suis dis “mais t’es encore en train de te branler” “combien de temps de ma vie ai je passé devant du porno ?” “je suis même fiché comme délinquant sexuel”…. et de là, premières vraies recherches sur le Net sur la l’addiction à la pornographie. Des tests pour se situer. Résultat : complètement accroc à la pornographie. Je m’inscris sur un forum, et je raconte mon parcours, en toute honnêteté, comme ici, sauf que je n’ai pas parlé de mon adolescence, n’ayant pas encore toutes les “données” issues de ma réflexion.

Je suis plutôt bien accueilli, des gens m’apportent leur soutien, malgré quelques “piques” de certains sur la partie pédopornographie. J’ai été transparent, je m’attendais un peu à ces remarques. Il y a des pornodépendants qui n’ont jamais touché à des contenus illégaux et qui sont choqués. Je l’accepte.

A cette époque, le forum me sert autant comme tentative de sevrage, que comme épaule pour remonter la pente suite à mon affaire judiciaire. Les gens m’aident à réfléchir. Il en ressort que même si c’est sévère, ça ne sert à rien que je sois en colère contre le procureur. Ils ont raison. Certains me disent aussi que je suis avant tout une victime de ce que peut faire la pornographie. Ils ont raison aussi.

Je tente de me sevrer, je compte les jours sans porno ni masturbation. Je rechute. Je divise le compteur en deux, un pour le porno et un pour la masturbation car il est plus facile pour moi de ne pas visionner de porno que de ne pas me masturber. Et je rechute. Et je réessaie. Et je rechute. Ainsi de suite pendant 3 ans.

Les membres du forum sont aussi accros au porno ou conjoints de personnes qui le sont. Ce sont les seuls avec qui j’ai été totalement transparent sur ma vie. Certains me disent que je ne pourrai pas y arriver tout seul, qu’il faut que j’en parle à ma femme ou à une psy. En face à face, ça me parait impossible. C’est trop dur pour moi.

Trois ans de survie

Entre l’été 2012 et cet été 2015, ça a été 3 ans de survie, avec des moments de mieux et des moments de pas bien du tout. D’un point de vue personnel, l’été 2014 a vu l’arrivée de mon deuxième enfant. Heureusement qu’ils sont là. Je les aime profondément, et pourtant j’ai tellement de mal à m’en occuper autant que je le voudrais. Quand j’ai le moral à zéro, c’est vraiment dur de jouer avec eux, je n’y arrive jamais très longtemps. Je culpabilise beaucoup de ce que je fais subir indirectement à ma femme et à mes enfants. Ce spleen ambiant. Ça doit être fatiguant.

Pendant trois ans, j’ai tenté différentes choses, toujours en postant sur le forum mes tentatives de sevrage et mes réflexions. Par écrit, j’ai pu contacter deux psychologues. J’ai pu tout raconter, mais ça n’a rien donné. Franchement je ne suis pas du tout convaincu par l’analyse et le travail par mail avec les psys.

J’ai contacté l’ange bleu qui est une association de prévention contre la pédophilie. Sa présidente y investit beaucoup de temps et créée des groupes de paroles entres pédophiles et victimes. J’ai pu échanger par mail et par téléphone. Ce n’est pas toujours facile de la joindre, d’autant plus qu’il faut bien admettre que je sentais qu’entre le pédophile aux pulsions incontrôlables prêt à passer à l’acte dans la réalité et la victime d’abus sexuel, je n’étais sans doute pas une priorité dans les personnes à aider au plus vite (ce que je comprends). Néanmoins c’est la première personne qui a m’a parlé de “la souffrance du coupable”.

J’ai pu rencontrer un sexologue en face à face dans ma ville et lui parler de ma pornodépendance, sans le volet judiciaire. Problème, ce dernier a arrêté son activité sur un coup de tête peu après notre premier rendez-vous.

J’ai vu un kinésiologue pour essayer de retrouver un peu de bien-être mais je n’ai pas accroché à la méthode.

Enfin depuis la rentrée de 2014, je vois une psy, à qui je n’ai pas encore réussi à tout livrer, mais avec qui j’avance petit à petit. C’est ce qu’il me fallait, en face à face, je n’aurai jamais pu tout exposer à un psy dès le premier rendez-vous. Je vais continuer avec elle. Je la vois une fois par semaine. A 65 euros la séance, c’est un vrai budget qu’il faut consentir à investir pour aller mieux. Mais ça vaut le coup.

En trois ans, ça fait beaucoup de tentatives, beaucoup de rechutes, beaucoup de mal-être.
Beaucoup de choses cachées aussi, notamment à ma femme.

Et puis, il y a quelques semaines, ça a été la fois de trop. Notamment grâce à la psy, je fais un gros travail d’analyse, je réfléchis beaucoup sur moi-même. Cela a été la masturbation de trop, de me retrouver braguette ouverte, de m’être soulagé, d’avoir taché de sperme pour la dix millième fois un pantalon en m’essuyant mal.

Tout ma vie de pantalon baissé ou ouvert, de main droite refermé sur mon sexe, de sperme qui tache les habits, de mouchoir ou de sopalin utilisés, d’images pornographiques, pédopornographiques, de ma famille à qui je fais du mal, de mes amis, collègues, et connaissances que je ne respecte pas en me conduisant comme ça

Je me suis dégoûté au sens propre. J’ai vomi. J’aurai cru ça impossible mais j’ai vomi de dégoût de moi, de culpabilité, de honte.

Et maintenant ?

Je ne me suis plus supporté. J’ai 36 ans, j’ai passé plus de la moitié de ma vie (22 ans !) dans la pornographie et la masturbation.

Peu de temps après, j’ai enfin pu parler à ma femme. Je lui ai tout dit. Tout ce qu’elle ne savait pas de moi. Celui que j’étais quand j’étais adolescent, celui que je suis resté même en étant en couple avec elle, et même celui qui a en fait focalisé sur de la pédopornographie et pas sur d’autres choses cachées…

J’ai beaucoup pleuré, je ne pense pas avoir pleuré comme cela depuis mon enfance. J’ai tout lâché. Les conséquences n’ont pas du tout été celles que je pensais.

Premièrement, ma femme m’a soutenu, n’a pas semblé en colère. Elle m’a même dit que j’étais courageux. Ça m’a fait bizarre. J’ai dû mal à accepter des compliments à mon égard tellement je me dégoûte. Elle va me soutenir dans mon combat. Je lui ai dit que je venais d’avoir 36 ans. Je veux fêter mes 37 ans avec une dignité retrouvée. Je veux, dans un an, être libéré de cette drogue dure, et retrouver mon honneur.

Je lui ai avoué avoir déjà pensé plusieurs fois à mourir. Mais j’essaie aussi de la rassurer, je ne veux pas trop la charger. C’est mon combat.

Deuxièmement, je n’ai pas été longtemps soulagé de lui avoir parlé. Bizarrement, de lui avoir avoué tout ça, de m’entendre parler à haute voix, cela m’a encore plus culpabilisé, encore plus dégoûté de moi-même. Je dors mal. Je m’en veux. Je ressasse toujours les mêmes choses. J’ai honte. Le seul point positif depuis que j’ai parlé à ma femme, c’est que je n’ai plus consulté un seul site porno. En revanche, j’ai cédé à quelques masturbations. Je pense qu’on se sépare pas d’une addiction comme ça.

J’ai rendez-vous très bientôt dans une ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) dans une ville située à une heure de la mienne. J’ai rendez-vous avec un spécialiste en addictologie sexuelle.

J’ai repris contact avec l’Ange Bleu. Je vais bientôt m’entretenir oralement avec sa présidente. Je compte assister à un groupe de paroles très bientôt. J’ai besoin de comprendre et aussi, j’ai besoin de demander pardon. La pédopornographie, même derrière son écran, ça reste des enfants qui ont été abusés sexuellement par des adultes et qui seront marqués à vie. Quand en plus, comme moi, on a des enfants, avoir cautionné cela, ça dégoûte…

Enfin, je vais continuer mon travail avec la psychologue que je vois depuis un an. Il faut que j’aille au fond des choses et que je travaille certains liens avec ma propre enfance. Je ne me suis pas construit comme ça par hasard.

Je ne suis pas sûr de tenir pendant encore un an, avec toute ce travail qui m’attend, toute ces remises en questions, tous ces questionnements qui peuvent faire mal, sans aide médicamenteuse. Mais c’est compliqué, je ne me sens pas assez proche de mon médecin traitant, qui est nouveau, pour me confier et lui parler de tout ça.

J’ai l’impression d’être dans la deuxième période la plus atroce de ma vie, celle de l’acceptation qu’on a un problème, qu’on a peut être une attirance pour des filles plus jeunes, ça fait vraiment peur. J’ai peur parce que j’ai cette impression que soit ça se décante pour de bon courant 2016 ou soit c’est fini la vie pour moi… Les deux extrêmes…

Le bonheur et la liberté retrouvés ou la mort.

Ce que je constate tout au long de ce calvaire

Je ne sais pas si ce manifeste servira un jour à quelqu’un mais voici ce que mes expériences m’ont appris et dont je suis convaincu :

  1. on n’accède pas à la pédopornographie sans passer par la pornographie. Quelqu’un qui consomme de la pédopornographie est avant tout un consommateur de pornographie qui a cherché à voir des choses de plus en plus déviantes.
  2. on ne peut pas se sortir seul de la pornodépendance. Il faut l’aide d’un psy et/ou de son conjoint. J’ai longtemps essayé seul avec l’installation de proxy comme K9. Ça reste un bon complément mais ne remplace pas un être humain de confiance.
  3. on vit dans une société malade, où ce type de sujet est tabou mais où la sexualisation est partout, dans les publicités, dans les émissions de télé, et même dans l’apparence des petites filles (concours mini-miss, etc)
  4. la justice sanctionne mais ne guérit pas et ne cherche pas à savoir si vous vous en foutez ou si vous êtes au bord du suicide. Les obligations de soins ne valent rien, tous les psys rencontrés me l’ont dit. C’est le patient seul, avec sa volonté de comprendre et de s’en sortir, qui détient les clés d’une analyse réussie.
  5. Je suis désormais persuadé qu’une personne atteinte de pulsions (pulsions de violence, sexuelles, etc.) ne sera pas “freinée” par une peine de prison ou une sanction. Je vois bien, à mon niveau, que je ne peux pas freiner mes pulsions de masturbation, tout au mieux les différer. Je suis soulagé de ne pas avoir de pulsions à l’encontre de personnes dans la vie réelle et je pense à tous ceux qui subissent des pulsions “graves” qu’ils n’arrivent pas à contrôler.
  6. À part auprès des professionnels de santé, on trouve très peu de reconnaissance de la souffrance des coupables. On entend parler que de la souffrance des victimes. Pourtant la souffrance des coupables existe bel et bien, et j’ai cherché en vain sur Internet des sites où des auteurs de faits pourraient s’exprimer et demander pardon. Je suis bien placé pour savoir qu’on peut avoir commis des faits délictuels, et crever de culpabilité, de honte et de remords.
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