« La pornographie, c’est mal ! »

Beaucoup de personnes cherchent à se conformer aux instructions de la religion qu’ils suivent. C’est une idée qui est loin d’être mauvaise si l’on décide de faire confiance. Pourquoi pas, je ne rejette pas cette idée. Cependant, je crois qu’il faut dépasser le « il faut/il ne faut pas ». C’est pourquoi j’ai décidé de poser une série de questions à différents membres ou représentants des grandes religions.

Pour commencer cette série d’interviews, j’ai choisi le bouddhisme. Merci à Vassika du Centre bouddhiste Triratna de Paris d’avoir répondu à mes questions.

Quel est le point de vue du Bouddhisme sur la pornographie ? Pourquoi?

En préambule, il faut dire que le bouddhisme comporte plusieurs écoles et courants : je ne peux donc pas représenter tous les bouddhistes. Ce que vous trouvez ci-dessous, ce sont mes réflexions sur le sujet, en tant que bouddhiste pratiquante dans le cadre de l’Ordre bouddhiste Triratna, et à la lumière de ce que j’ai appris de la vision du Bouddha.

Le Bouddha a vécu il y plus de 2500 ans, et ne connaissait donc pas la pornographie. Ses disciples moines et nonnes pratiquaient comme lui la chasteté, et il encourageait ses disciples laïques à vivre leur sexualité dans le respect et la non-exploitation d’autres personnes. Vivre d’une façon éthique est un fondement de la pratique bouddhique et le Bouddha a proposé cinq préceptes d’entrainement pour guider ses disciples :

  1. S’abstenir de prendre la vie (le principe de l’amour et de la non-violence) ;
  2. S’abstenir de prendre ce qui n’est pas librement donné (le principe de la générosité) ;
  3. S’abstenir de méconduite sexuelle (le principe de la simplicité et du contentement, où l’on n’est pas mené par ses désirs) ;
  4. S’abstenir de parole fausse (le principe de la communication véritable) ;
  5. S’abstenir de prendre des intoxicants (pour garder l’esprit clair et perspicace).

Ce ne sont pas des règles, et il n’y a pas de punition pour ceux qui n’arrivent pas à les respecter (il n’y a ni Dieu ni autre autorité extérieure dans le bouddhisme). L’éthique bouddhique est basée sur le simple fait que nos actions ont toujours des conséquences pour nous-même et pour les autres. Si nous agissons avec amour, générosité, respect, honnêteté et pleine conscience, nos actions seront bénéfiques. Les actions basées sur des états de haine, de désir et d’ivresse ou d’ignorance voulue auront en revanche des conséquences néfastes pour nous et pour les autres.

C’est le troisième précepte qui s’applique directement à la sexualité ; cependant, tous ces préceptes sont intimement liés et sont impliqués les uns dans les autres. La méconduite sexuelle comprend toute activité sexuelle qui, basée dans l’avidité et le désir névrotique, nuit à d’autres personnes. Elle implique en premier lieu l’adultère, le viol et d’autres actes non-consensuels, ainsi que l’exploitation sexuelle. Sur un niveau plus subtil, ce précepte nous invite à prendre conscience de tous nos désirs et à faire une distinction entre ceux qui sont sains et naturels et ceux qui sont névrotiques dans le sens où nous cherchons dans l’objet de notre désir une satisfaction qu’il ne peut par sa nature nous donner.

Pour le bouddhisme, notre souffrance vient de tels désirs ; nous cherchons continuellement le bonheur et la satisfaction profonds et durables dans des choses et des expériences qui ne peuvent pas nous les donner. Dans le sexe, nous cherchons parfois à combler des besoins d’amour ou d’intimité, parfois à nous distraire d’une insatisfaction plus profonde. Le plaisir qu’apporte le sexe, ainsi que d’autres choses comme le chocolat, l’alcool, un film etc. nous distrait pendant un moment et nous apporte une sorte de bonheur fugace. Mais dès que c’est fini, nous rentrons encore en contact avec l’insatisfaction plus profonde, et nous entrons ainsi dans un cycle addictif. Selon le bouddhisme, cette insatisfaction vient d’un manque de sens spirituel dans notre vie et ne peut être comblée que par des richesses intérieures qui ne dépendent pas d’expériences externes.

Alors, si nous regardons la pornographie dans la lumière de ces principes, il faut prendre en considération ceux qui sont impliqués dans la production d’images et de vidéos ainsi que les personnes qui les distribuent ou les vendent, et celles qui en profitent en les regardant. Il faut se demander si cette activité est une expression de l’amour ou de la haine, de la méprise, du non-respect ou d’autres états d’esprit qui ne prennent pas en compte la personne en face. Est-ce qu’elle est une expression de générosité ou de l’avidité ou d’un désir malsain ? Et est-ce que les personnes concernées agissent en pleine connaissance des conséquences que cette activité peut avoir pour elles-mêmes et pour les autres ?

Pour le bouddhisme, la qualité d’esprit est primordiale, et on peut évaluer la pornographie en termes de l’effet qu’elle a sur l’état d’esprit de tous ceux qu’y sont impliqués. Est-ce qu’elle génère le bonheur, l’amour, le contentement, la satisfaction et la liberté ; est-ce qu’elle est bénéfique pour ceux qui l’utilisent et pour ceux qui la créent ?

Et sur sa finalité : la masturbation ? Pourquoi ?

Pour répondre à cette question, il faut séparer la masturbation de la pornographie, parce qu’il y a plein de gens qui masturbent sans jamais regarder de pornographie. En ce qui concerne les personnes qui pratiquent les deux, on peut se référer à la réponse à la première question.

Pour les autres, que je sache, le Bouddha n’a pas parlé de masturbation, et si on rencontre chez certains bouddhistes des tabous ou des proscriptions par rapport à la masturbation, cela vient probablement de vues et d’habitudes culturelles et non pas de l’enseignement du Bouddha lui-même. Nous pouvons pourtant y appliquer les mêmes principes éthiques. Un acte n’est pas, en soi, bon ou mauvais ; il est bénéfique ou néfaste selon l’état d’esprit qui l’inspire et l’état d’esprit qu’il provoque chez celui que le commet. La masturbation peut apporter un certain soulagement, plaisir et détente et, en règle générale, n’implique pas d’autres personnes, alors c’est à chaque personne de déterminer si c’est quelque chose de bénéfique pour elle ou du moins qui ne l’amène pas dans des états d’esprit nuisibles ni dans un cycle négatif comme celui évoqué ci-dessus.

Il est reproché aux religions d’engendrer de la culpabilité, et donc de favoriser l’addiction. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, la culpabilité fait grande partie de notre culture, qui est à la base judéo-chrétienne. La culpabilité est associée à un sens de faire quelque chose qui est jugé comme « mal » par une personne ou par un Dieu qui a de l’autorité sur nous. Elle va main dans la main avec la peur d’être rejeté ou privé de l’amour de cette autorité. Dans le bouddhisme, il n’y a pas de telle autorité, et la culpabilité n’a donc pas de place. En revanche, le remords et le regret sont regardés comme des sentiments positifs dans le sens où ils viennent d’une reconnaissance que nous n’avons pas agi à la hauteur de nos valeurs (les valeurs exprimées dans les cinq préceptes ci-dessus). Le bouddhisme nous offre un idéal, l’idéal du Bouddha ou de l’être éveillé, auquel nous pouvons aspirer et que nous pouvons devenir nous-même. Un bouddhiste, inspiré par cet idéal, ferait de son mieux pour se comporter en accord avec lui et regretterait toute action qui l’en éloigne. Le chemin bouddhiste est un chemin de pratique, essentiellement de l’éthique et de la méditation, qui nous aide à devenir, graduellement, de plus en plus éveillés. Sur ce chemin, nous allons, bien sûr, rater et faire des choses que nous regrettons. Quand cela nous arrive, nous le reconnaissons pleinement, mais sans culpabilité, pour ensuite le laisser derrière nous et essayer de faire mieux par après.

Pensez vous que le Bouddhisme peut aider des personnes addictes à la pornographie ? Quels conseils donneriez-vous à l’une d’entre elles?

Oui, la pratique du bouddhisme pourrait aider des personnes addictes à la pornographie, mais il faut savoir que le bouddhisme est un chemin spirituel qui demande un travail sur soi sincère, et qui n’est pas toujours facile ni toujours agréable. On passe par la pratique de l’éthique, c’est-à-dire par l’observation des cinq préceptes cités ci-dessus et puis par la méditation pour arriver à la sagesse.

C’est surtout la méditation qui a un effet transformateur sur l’esprit. Elle nous permet de développer un esprit plus calme et plus clair, et des émotions positives telles l’amour, l’acceptation, la réjouissance et l’appréciation. Cela nous donne la capacité à rester présent avec notre expérience dans le moment présent, qu’elle soit agréable ou pas, et la capacité à apprécier et à trouver de la beauté dans des petites choses de la vie quotidienne. Nous développons ainsi de la richesse intérieure et nous devenons plus aptes à développer des relations plus profondes, caractérisées par une qualité d’écoute et de partage qui les rendent plus satisfaisantes.

Tout cela diminue graduellement notre besoin de chercher en dehors de nous-même de la stimulation, de la distraction, et des plaisirs grossiers ou intenses. La sagesse arrive quand nous commençons à savoir profondément qu’en réalité il n’y a rien de matériel, à l’extérieur de nous-même, que nous pouvons faire ou avoir, qui nous garantira une satisfaction complète et durable. Cette sagesse apporte avec elle l’éveil et la liberté.

Pour que tout cela marche cependant, il est nécessaire de s’engager sincèrement sur le chemin, de préférence dans le contexte d’une « Sangha » c’est-à-dire aux côtés d’autres personnes qui pratiquent sincèrement et qui peuvent nous guider, nous soutenir et nous encourager dans notre pratique. Cela est surtout nécessaire quand notre pratique nous emmène à rencontrer des aspects de nous-même que nous n’aimons pas ou que nous trouvons difficiles, ou des blessures venant de notre passé.